mardi 31 janvier 2012

Vin chaud à Vancouver

Cette fois je vous reviens d’une petite excursion qui était pour le moins extraordinaire, selon mes normes en tout cas… Une semaine dans la troisième plus grande ville du Canada, entourée de costards faits sur mesure, de talons aiguilles à 15 cm, dont beaucoup étaient portés par des multimillionnaires et le tout se passait dans les hôtels les plus chers et luxueux de la ville. Comment j’ai atterrit dans une telle « galère » ? Tout a commencé par une coupe de vin chaud sur un lac gelé du Yukon…

Vous vous souvenez peut-être de cette « soirée portes-ouvertes » que ma compagnie a organisé au mois de novembre. On avait joué au hockey sur un lac et on avait monté une tente bar sur le lac. Lors de cette soirée j’avais fait du vin chaud, du vrai de vrai, et il a été très apprécié, au point que j’ai été engagé pour aller faire du vin chaud lors d’une conférence minière à Vancouver en janvier !

Après avoir passé une semaine à -40°C, complètement isolée dans ma petite cabane en forêt et incapable de la quitter, j’ai pris l’avion pour me rendre à Vancouver. Normalement, j’aime l’hiver, alors j’ai horreur de dire ça, mais bon sang que j’étais heureuse de quitter le Yukon ! Lorsque l’avion approchait Vancouver, les lumières de la ville s’étendaient comme une mer de joyaux sous mes yeux. J’étais toute excitée et heureuse, comme si je n’avais jamais rien voulu d’autre que d’aller dans une grande ville et l’accès de panique, dont je suis atteinte habituellement lorsque je dois me rendre dans un endroit « surpeuplé », ne s’est pas fait sentir du tout !

Une fois dans mon bel hôtel, avec vue sur la plage et juste à côté du fameux Stanley Park, j’ai commencé par profiter d’une salle de bain bien chauffée et d’une douche chaude, du début à la fin. Il avait fait tellement froid au Yukon, que je n’avais que pu me laver à l’eau froide… Le son de la mer, la circulation, les lumières de la ville, la vue sur la skyline de Vancouver, le fait de pouvoir dormir sans les 3 couches de vêtements et 6 couvertures habituelles… tout me ravissait !

Le lendemain a commencé la première journée de travail. Ma collègue et moi devions nous rendre au Convention Center (l’un des bâtiments flambants neufs construits pour les JOs, juste en bord de mer et juste à côté du flambeau olympique). On allait passer la journée à la Vancouver Resource Investment Conference : une conférence réunissant toutes les compagnies de l’industrie minière du Canada, des É-U et d’ailleurs dans le monde et ayant pour but de créer de nouveaux partenariats et de trouver des investisseurs pour les compagnies. La salle était pleine de milliers de gens en costards faits sur mesure ou en tailleurs ultraserrés et talons aiguilles. Ça sentait l’argent à pleines narines et il y avait plus d’un millionnaire qui se promenait là. Ma collègue et moi, toutes les deux des filles du bush, on ne se sentait pas à notre place du tout. On était de poissons rouges dans une mer de requins ! Ça parlait de prix de vente à la bourse, de dizaines de millions investis dans telle ou telle propriété et ça se boostait les cerveaux aux fontaines à oxygène. Quel monde étrange et fascinant ! Et les prochains jours on allait encore bien vivre dans ce monde de riches…

Cette première journée on l’a donc passé à cette conférence destinée aux investisseurs. Ce qui faisait notre bonheur, c’est que notre patron nous avait donné à chacune notre propre carte de visite. C’est la première fois que j’avais une carte de visite avec mon nom dessus ! On a passé la journée à parler à des présidents et responsables d’opérations de diverses compagnies et c’était épuisant ! Plus que de couper 1 km à travers la forêt ! Le soir on est allé à la soirée d’ouverture du Mineral Exploration Roundup, une conférence réunissant une fois de plus toutes les compagnies actives dans les mines ou en exploration, mais là il s’agissait moins de trouver des investisseurs et plutôt de créer des partenariats. Cela se passait au Westin Bayshore, un autre hôtel de luxe juste au bord de l’eau. Boisson et amuse-gueules à volonté et il y avait encore plus de monde qu’à l’autre conférence, c’était la folie ! On a fini la soirée dans un resto de luxe (selon moi) de Vancouver, le Joe Fortes. Un restaurant au style bien original… L’intérieur était couvert de boiseries, un grand escalier en bois menait à une mezzanine et au milieu de cet escalier était installé un grand piano sur lequel un musicien jouait toute la soirée. On a mangé des huîtres et du poisson, la spécialité du restaurant. C’était délicieux ! Et l’huile de homard pour tremper le pain en apéritif, incroyable ! Et les martinis avec ça… Pour finir la soirée, des investisseurs qui avaient passé la soirée à la table à coté se sont joints à nous pour nous payer une tournée, avant de disparaître dans un taxi avec leur « actrice/top model » engagée pour la soirée… Bref, je me croyais dans un film et même la facture était surréaliste !!

Le deuxième jour on est retourné à la Investment Show pour finir de faire la tournée de toutes les compagnies. Et après un bon repas de midi avec notre patron, on a eu droit à quelques heures de repos avant LA soirée… J’en ai profité pour flâner dans les rues de Vancouver, il pleuvait, mais ça ne me dérangeait pas. Tout était mieux que -40°C ! En fin de journée on (mes 3 collègues et moi) s’est retrouvé dans une chambre du Fairmont Pacific Rim, un hôtel construit spécialement pour les JOs aussi, situé juste en face du Convention Center et du flambeau, et l’hôtel le plus cher et luxueux de tout Vancouver (avec des suites à 10 000$ la nuit…). Mais ce soir-là, on n’était pas là pour profiter du luxe. On était venu là pour enfiler nos costumes de danseuses cancan ! Au Roundup avait lieu la « Yukon Night », une soirée organisée et financée par toutes les compagnies du Yukon et nous, on tenait un stand aussi. On allait passer la soirée à servir de la bière et promouvoir notre compagnie déguisée en danseuses cancan. Le moment le plus drôle de la soirée a été lorsqu’on a toute les quatre, vêtues de nos robes de danseuses et avec des plumes dans nos cheveux, traversé le grand lobby du Fairmont rempli d’hommes d’affaires. La tête qu’ils ont fait, c’était absolument magnifique ! La Yukon Night avec nos costumes était une réussite, on a bien rigolé ! Et puis la boisson coulait à flots et la bouffe était bonne aussi !

Le troisième jour on a fait de l’organisation et beaucoup de préparations pour une réception privée que notre compagnie allait donner dans une des suites du Fairmont Pacific Rim. Et cette journée-là, on a profité du luxe du Fairmont. L’hôtel, la chambre, tout était tellement beau, riche, luisant, somptueux… Le marbre de toutes les couleurs et tous les styles (le marbre rayé, quelle merveille !), les dorures, l’éclairage qui se règle en fonction de l’ambiance souhaitée, le lobby avec un foyer au centre et de la musique live tout le temps… Je n’ai jamais voulu être riche, mais tout ça, ça donnait envie d’avoir de l’argent tout d’un coup ! La suite dans laquelle on tenait la réception était superbe aussi. On avait une vue de plus de 180° sur la baie et le centre-ville de Vancouver, avec terrasse bien sûr ! C’est lors de cette réception que j’ai fait mon vin chaud, mais il y avait encore bien d’autres bonnes choses à boire… De la bière, divers drinks, du mousseux et des vins fabuleux !! Pour la nourriture, on avait préparé des amuse-gueules et on avait commandé des pizzas exquises de l’hôtel (la pâte, une vraie pâte à pain fondait sur la langue…). Mais le meilleur c’étaient les plats de sushis et les tours de fruits de mer garnies de crabe, d’homard, de moules, de saumon cru et fumé et d’huîtres minuscules, les plus petites et les meilleures que j’ai jamais mangé ! Une de mes collègues, qui est aussi chanteuse et a son propre groupe, a chanté accompagnée de son copain à la guitare, magique ! C’était une soirée absolument mémorable et le temps de quelques heures, on s’est imaginé vivre dans ce monde et on en a savouré chaque instant ! Imaginez-vous, assis dans un fauteuil confortable d’une suite de luxe, en train de siroter un vin excessivement bon et cher, en compagnie de personnes que vous appréciez beaucoup et avec une vue sur la mer éclairée par les milliers de lumières scintillantes de la ville…

Le lendemain matin, je me suis réveillée au son des vagues… J’avais quelques heures de libre, alors je me suis armée de mon appareil photo et suis allé marcher au bord de la mer, vers Stanley Park. Quel bonheur c’était de retrouver ces majestueux arbres de la forêt pluvieuse ! Le sapin Douglas, l’épinette de Sitka, le thuya géant, les fougères immenses… Comme mes yeux se sont abreuvés de cette forêt si verte et luxuriante, même en plein milieu de l’hiver ! Et en revenant vers l’hôtel sur le bord de la mer, le soleil est sorti d’entre les nuages et le vent doux de l’océan caressait mon visage, j’avais l’impression que c’était l’été !! Alors qu’à côté de moi, les promeneurs passaient avec leurs manteaux boutonnés jusque sous le nez et une tuque sur la tête. Ils ne savent pas ce que c’est l’hiver à Vancouver…

On a encore passé une journée à la conférence et on a eu une dernière expérience de ce monde de la « classe supérieure ». Notre patron nous a offert des tickets pour un repas de midis/conférence organisé au Westin. Mis à part le repas, qui était plutôt bon, les conférenciers étaient pour le moins intéressants. Nulle autre que madame la Première Ministre de la Colombie-Britannique a tenu un discours lors du repas et quelle femme ! Mère de famille et femme charismatique, elle est dotée d’une énergie incroyable et bon sang qu’est-ce qu’elle est bonne dans ce qu’elle fait. À la fin de son discours, j’étais prête à me précipiter vers l’urne la plus proche pour voter pour elle !! La journée s’est finie en beauté avec encore bien de la boisson et de la nourriture, à volonté, lors de l’Alaska Night. Mais je vais vous avouer qu’on commençait à être plutôt blazé par tout ça !

Le jour de mon départ de Vancouver, le soleil était rayonnant et les nuages dévoilaient enfin les majestueuses montagnes côtières entourant la ville. Le soleil, la mer, la plage, les montagnes… c’était merveilleux ! Et j’étais bien triste de repartir… Mais à Whitehorse j’ai été accueillie par un beau soleil et des températures printanières (-15°C) et lorsque le soir le ciel s’est illuminé d’aurores boréales, la terrible semaine de -40°C était pardonnée !



jeudi 19 janvier 2012

Mes premiers mois au Yukon

La vie au Yukon… On peut certainement dire qu’elle est intéressante, non seulement parce que le Yukon est une région si extraordinaire, mais aussi parce que cette région est peuplée de personnes les unes plus originales que les autres. Personne ne vient vivre ici sans vraiment le vouloir, alors je suis entourée de personnes passionnées et aux vies riches en histoires incroyables. Depuis mon arrivée ici j’ai rencontré un homme dont le dessus des armoires de cuisine est orné de défenses de mammouths et qui a découvert des fossiles de tous genres d’animaux préhistoriques dans sa mine d’or; un autre qui vit au bord d’un grand lac, où aucune route ne mène, avec sa famille, ses chiens de traineau et ses chevaux; ou encore une femme qui a appris à se nourrir des mousses à moitié digérées dans l’estomac d’orignal pour avoir son apport en « légumes » lorsqu’elle n’avait pas d’autre moyen de se nourrir. Et maintenant j’ai la chance de vivre dans cette belle région entourée de tous ces gens extraordinaires…
 
Je me suis réellement installée au Yukon au retour de mon deuxième contrat, les quatre semaines de line cutting à Brewery Creek dont je vous ai déjà parlé. Je suis revenue à Whitehorse à la mi-octobre et me suis installée dans une petite cabane en forêt, à environ 30 minutes de route du centre-ville. Ceux qui me connaissent le savent, ça fait bien longtemps que je rêve d’avoir ma petite cabane en forêt, alors imaginez quel bonheur ça a été de m’installer là ! La cabane est petite, mais j’y ai tout ce qu’il me faut et je suis entourée de forêt et de montagnes. Le calme est absolu, et seuls les hurlements des coyotes brisent le silence de temps en temps. Mais je ne suis pas si isolée que ça, j’ai des voisins à plusieurs centaines de mètres et il va sans dire que ce sont des gens très sympathiques et originaux.
 
Alors que fait-on quand on vit au Yukon ? Et bien on raconte des histoires. Il y a toujours des histoires à raconter… On raconte des histoires le vendredi après-midi autour d’une bière avec les collègues de travail (et quand vous avez des collègues qui font de l’exploration depuis 30 ans, vous avez l’occasion d’entendre des histoires parmi les plus extraordinaires !), on raconte des histoires lors de grands soupers où tous les « voisins » sont invités, même ceux qu’on ne connait pas et bien sûr, on raconte aussi des histoires autour d’un feu dans la noirceur hivernale du Grand Nord. J’ai entendu des histoires d’équipes d’exploration abandonnées à elles-mêmes au fin fond des montagnes yukonnaises, de cuisiniers devenus meurtriers pour des pancakes, ou d’un homme détestable mais tellement hors du commun qu’on a nommé des rues après-lui dans tout le Yukon. La musique aussi est très importante ici. Les festivals et concerts sont nombreux et bien souvent, lors de ces soupers entre voisins, on joue de la musique et on chante tous ensemble lorsque le repas est terminé.
 
Bien sûr, on profite aussi de la nature, cela va de soi. On en profite parce que les possibilités de plein air sont quasi illimitées, mais aussi parce que même sans le vouloir, la nature nous fait vivre des aventures et nous donne de belles leçons d’humilité. Il y a eu les -40°C déjà à la mi-novembre pour me rappeler que l’Arctique est tellement proche ici… Une autre fois on a eu un redoux, avec proche de +5°C lorsque le chinook descendant des montagnes côtières s’est levé. Et la nuit, le chinook s’est déchaîné sur tout le sud du Yukon, une superbe tempête de vent qui a mis toute cette partie de la région en alerte. Certaines routes devaient être fermées. À 8 heures du matin, plus de vent, mais pluie diluvienne et soudain on passe à -5°C. Toutes les routes se sont transformées en patinoires parfaites. À 9 heures le monde a disparu dans une tempête de neige. Quelques heures plus tard, tout le centre-ville de Whitehorse était fermé et le soir la neige était tellement profonde sur les routes, même le highway, que je n’avais pas besoin de pelle à l’avant de Bill pour faire la charrue ! Et le soir de cette même journée on était à -25°C. Le lendemain matin, je suis arrivée avec une heure de retard au travail. Pourquoi ? Parce que Bill avait été gelé au sol !! Et puis il y a aussi eu mon cadeau de bienvenue… Je me suis plein de l’hiver trop doux en Europe, et bien depuis mon retour (une semaine maintenant) le Yukon nous fait sentir qu’on est dans le nord avec des températures entre -40°C et -30°C en continu. Ma cabane est un igloo (il fait plus chaud dans mon frigo), la ville fonctionne au ralenti, tous les soirs un autre quartier est dans le noir pour quelques heures par manque d’électricité et moi j’ai pas quitté ma cabane depuis que ça a commencé parce qu’il fait trop froid pour démarrer mon pauvre Bill (je ne laisserai plus personne rire de mon stock de cannes que j’ai toujours dans ma cuisine). Mais la nature ici, ce n’est pas juste le froid. C’est aussi les aurores boréales, un ciel étoilé d’une beauté à couper le souffle, un monde blanc et scintillant comme recouvert de poussière d’étoiles, le hurlement des coyotes, et le soleil d’hiver si délicat et si beau qui chaque jour est un peu plus haut au-dessus de l’horizon. Ces cinq précieuses minutes de soleil qu’on gagne par jour se font sentir et c’est comme un petit miracle chaque jour. Et il n’y a rien de mieux qu’une marche à travers une forêt scintillante, à -35°C et dans le calme absolu, pour se sentir vivant !!
 
Au Yukon, on aime aussi le hockey bien sûr ! En novembre, ma compagnie a organisé une « soirée portes ouvertes ». On est allé trouver un lac en forêt pas trop loin de la ville, on l’a déneigé (pelleter la neige en patins, c’est tellement le fun !) et pour la soirée on a monté un aréna de hockey éclairé, une tente bar/vestiaire et on a fait un petit feu sur la glace. Il a fait froid ce soir-là (-25°C), mais il y avait près de 30 personnes qui jouaient au hockey sur notre aréna naturel. Tous ces gens d’affaires jouaient sur la glace comme des enfants et ceux qui ne pouvaient jouer sur la glace, les gens venant de contrées plus chaudes, étaient fascinés comme des petits enfants par le fait d’être dans une tente sur un lac et par notre feu sur la glace. C’était une soirée mémorable et j’y ai contribué avec une petite touche européenne en faisant du vin chaud ! Bon, la soirée s’est terminée avec moi qui marchais à travers la forêt à 2 ou 3 heures du matin pour rentrer chez moi, mais c’était super quand même !
 
Oui, mon cher Bill a eu des problèmes avec ses 4 roues motrices. Ce qui m’empêchait de conduire jusqu’à chez moi. J’ai passé une semaine ensuite à marcher matin et soir à travers la forêt dans la noirceur, pour aller au travail. Et vous savez quoi ? J’ai aimé ça ! Il faisait nuit, mais dans une forêt enneigée et sous un ciel étoilé il ne fait jamais vraiment noir et c’est tellement beau !
 
Le Yukon, c’est ça, c’est l’aventure, c’est plein d’histoires et c’est beau.