vendredi 14 décembre 2012

L'automne au Yukon



Très vite après le petit road trip de cet été est arrivé l’automne. En fait il avait déjà commencé. La neige tombait sur les montagnes alentours et il faisait de plus en plus froid. Les paysages devenaient vibrants des couleurs éclatantes de la végétation automnale. Les trembles jaunes vifs, les rosiers multicolores, le bouleau nain rouge sang… Et il n’y a rien de tel que la vue de majestueuses montagnes vêtues d’un manteau de velours rouge et saupoudrées de la plus blanche des neiges !

Alors en automne aussi chaque sortie en vaut la peine au Yukon ! J’ai retrouvé mon petit train-train quotidien et mon travail de bureau pour un moment. Mais déjà à la fin septembre, je suis repartie à l’aventure ! Cette fois, c’était pour un contrat de biologie. Oui, vraiment de la biologie !! Pour la première fois depuis mon départ de l’Abitibi, j’allais faire de la biologie. Il s’agissait de passer quelques jours sur une rivière, la McQuesten, dans le nord du Yukon pour prendre des échantillons génétiques sur une espèce de saumon, le Chum Salmon. 

On était deux biologistes et on allait passer quatre jours à navigues sur la rivière en zodiac, d’un petit pont où la McQuesten mène à peine assez d’eau pour y mettre un zodiac jusqu’à son embouchure où elle se jette dans la grande Stewart River (en Europe on l’appellerai un fleuve). Chaque jour on était sur la rivière du lever au coucher à scruter les flots pour essayer de voir des saumons. Parfois on accostait pour aller explorer les bras morts de la rivière (le Chum préfère les eaux calmes pour la fraie) et pour se réchauffer un peu. Être assis toute la journée dans bateau dans le nord du Yukon à la fin du mois de septembre, c’est pas pour les frileux ! Chaque nuit, on campait en forêt proche de la rivière. En général on était assez bien installé dans un tapis de mousse à l’abri sous de grandes épinettes blanches. Et parfois, on avait une belle vue aussi. Évidemment, on se faisait vraiment plaisir aussi avec un beau feu, un peu de musique, de la bonne bouffe et du Scotch ! De superbes soirées ! 

Un soir on a fait une découverte intéressante, alors qu’on commençait à cuisiner je suis allée voir une petite clairière à quelques mètre de là pour monter ma tente. Mais c’était assez étrange, il y avait comme un creux au milieu dans la mousse et tout autour il y avait 20 à 30 crottes rouges et oranges, des grosses et des petites, des anciennes et des fraîches… Vous devinez ce que c’est ? Une « tanière » d’ours avec une maman ours et au moins un petit ! On était épuisées, il faisait presque noir et ça allait prendre du temps de tout remballer et d’aller trouver un autre site pour notre camp, mais ça n’aurait pas été très sage ou rassurant de passer la nuit-là. On a plié bagages et on est allé aussi loin que possible pour ne pas risquer de tomber sur la famille d’ours. 

Il y avait des traces d’animaux sauvages partout : loups, grizzlys, orignaux, castors, etc. Mais nos saumons on avait du mal à les trouver et là, finalement le troisième jour on en a vu un dans le fond d’un bras mort de la rivière. On l’a sorti de l’eau mesuré, examiné, pris l’échantillon et remis à l’eau et puis on est allé chercher les autres. Quand il y a un saumon sur un site de fraie, il y en a toujours d’autres… Normalement ! On n’a jamais trouvé d’autres saumons, cette femelle avait été le seul individu de sa population à s’être rendue jusque-là. Où étaient les autres ? Ça reste un mystère… Mais j’en ai appris un peu plus sur le saumon et sur la fraie. Le saumon du Pacifique meurt après la fraie, c’est bien connu. Mais en fait, au moment de la fraie c’est déjà un cadavre, il lui reste juste assez de force pour faire ce qu’il a à faire ou pas. Les saumons, après avoir remonté fleuves et rivières sur plus de 3000 km depuis le Pacifique, quand ils arrivent sur leur site de fraie, sont ce qui se décrit le mieux comme des zombies. Ils sont à moitié en décomposition, recouverts de champignons mangeurs de chair, ils ont des plaies ouvertes desquelles s’écoule du sang, ils sentent comme des cadavres en décomposition et ont à peine encore assez de force pour bouger. Rien de romantique à tout cela…

Après les quatre jours sur la rivière sans avoir vu d’autres êtres humains ou de signe de civilisation, on est finalement passé sous le pont du highway et on a vu des campeurs, c’était fini les vacances ! Ces quatre journées là avaient été très relaxantes, mais notre descente sur la rivière s’est terminée juste à temps. Quelques heures après avoir quitté la rivière il y a eu une tempête de neige et le lendemain, le 1er octobre, tout le Yukon a été pris dans cette première petite tempête. 

Avec la neige du 1er octobre l’hiver s’est clairement annoncé et seulement deux semaines après, l’hiver était réellement là avec des températures entre -20 et -30°C, qui ont chuté à -40°C en novembre. Maintenant la neige est profonde, les nuits sont longues et glaciales, les jours sont courts et le jour n’est plus qu’un fantôme, le soleil à peine visible au-dessus de l’horizon…